
Le romantisme est-il soluble dans la grande distribution ? Même le 14 février, les Français sautent de plus en plus la case « fleuriste » et se contentent de passer au rayon « fleurs » du supermarché. « La concurrence fait rage entre les spécialistes de la distribution et les « généralistes », grandes surfaces et enseignes de bricolage ou de décoration, qui rognent sur les marges et proposent des produits moins cher. Sans compter la concurrence des sites Internet. » | REUTERS/JOHN VIZCAINO
En 2012, les 12 000 fleuristes français ont réalisé un chiffre d’affaires de 1,7 milliard d’euros. Ce résultat, qui reste honorable, a reculé de près de 50 % par rapport aux 3,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires cités par la Fédération nationale des fleuristes de France (FNFF) pour 2010. Cette année-là, on comptait 14 000 fleuristes dans l’Hexagone.
En boutique, la baisse du pouvoir d’achat a eu pour conséquence de faire baisser le panier moyen d’environ 3 % l’an dernier. Selon une enquête de l’interprofession réalisée auprès de 600 fleuristes, environ 80 % des clients demandent des bouquets moins gros, les plantes en pot sont préférées aux compositions florales, tandis que les accessoires comme les vases et les cartes de vœux sont délaissés.
STRATÉGIES LOW COST
« La montée en puissance des autres canaux de distribution tend à créer un contexte concurrentiel difficile, reconnaît la Fédération : grandes surfaces alimentaires, surfaces de bricolage, jardineries et producteurs cherchent à capter des parts de marché du secteur en proposant une gamme étendue de végétaux d’intérieur. » Ainsi, ces deux dernières années, seules les jardineries ont connu une progression de leur chiffre d’affaires en valeur et en volume.
« Dans ce contexte de double concurrence (multiplication des circuits de distribution et développement des réseaux sous enseigne), les indépendants peineront à faire face à la hausse des prix des loyers et des fonds de commerce, ce qui contraindra un grand nombre d’entre eux à céder leur pas-de-porte à des activités plus lucratives ou à adhérer à une enseigne« , constate la fédération professionnelle.
Seulement 35 % des fleuristes sont des entreprises indépendantes, enregistrées comme artisans, selon la FNFF. Face à eux, les trois plus grosses enseignes de franchises (Le Jardin des Fleurs, Monceau Fleurs et Rapid’Flore – ces deux dernières appartenant au groupe Monceau) affichent un chiffre d’affaires de près de 200 millions d’euros pour près de 500 boutiques, selon les données diffusés par l’Observatoire de la franchise. Mais elles aussi souffrent et développent des stratégies « low cost », comme Happy, la marque du groupe Monceau Fleurs.
UNE TENDANCE EUROPÉENNE
Car pour percer sur le marché floral, rien de tel que les prix les plus bas possible. Contrairement aux boutiques, les grands noms de la distribution bénéficient d’une chaîne d’approvisionnement solide et expérimentée, qui permet de réaliser des économies d’échelle. « La grande et moyenne surface, puis les fleuristes franchisés, sont à l’origine de cette consolidation, qui a eu pour conséquence la réorganisation de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement », explique une étude de l’Institut national de recherche agronomique.
Et cette tendance se confirme au niveau européen, indique une étude de la banque néerlandaise Rabobank. Les chaînes britanniques spécialisées dans le frais font partie des premières en Europe à avoir perçu et exploité ce potentiel,selon Cindy van Rijswick. « L’exemple du Royaume-Uni montre qu’il y a un potentiel pour une augmentation des ventes de fleurs et de plantes dans les supermarchés d’autres pays européens », souligne l’analyste. « La segmentation croissante du marché va offrir de nouvelles possibilités aux fournisseurs, et une large part des ventes devrait passer par le canal des supermarchés », anticipe-t-elle.
Concrètement, la segmentation correspond à un découpage du marché selon les nouveaux types de consommation. Cette segmentation exclut les acteurs les moins rentables, qui sont voués à disparaître. Par exemple, pour un maraîcher qui vendrait, en plus de ses légumes, des bouquets sur les marchés, le rapport « coût-bénéfice » semble de plus en plus faible. Selon les dernières données disponibles de Xerfi et FranceAgriMer, ils représentaient environ 7 % de part de marché, et« leur nombre est en constante diminution » d’après la FNFF.
LA PRODUCTION FRANÇAISE EN PREMIÈRE LIGNE
Autre avantage significatif de la grande distribution : les volumes. Il est en effet plus facile de négocier les prix quand on commande 2 millions de roses plutôt que 2 000. Les grandes surfaces se fournissent de plus en plus à l’étranger, via des centrales d’achat. La plupart des franchises ont aussi leur propre circuit d’approvisionnement. Un circuit qui passe de moins en moins par les pépiniéristes français. L’an dernier, c’est l’un des plus anciens, Delbard, qui a failli mettre la clé sous la porte.
Entre 2006 et 2010, le secteur de l’horticulture ornementale et de la pépinière a connu un mouvement de concentration, « qui s’est traduit par la disparition de près d’un quart des entreprises, soit un taux moyen de l’ordre de – 3,5 % par an, très comparable à celui de l’ensemble des exploitations agricoles. Le chiffre d’affaires horticole cumulé affiche une croissance faible, de l’ordre de 0,7 % par an, soit un recul en euros constants, si l’on tient compte de l’inflation générale sur la période »,note FranceAgriMer.
Rungis, premier marché de produits frais au monde, abritait 41 producteurs d’Ile-de-France début 2012, contre plusieurs centaines il y a trente ans. Les fleurs coupées venues d’Afrique et transitant par les Pays-Bas étouffent la production tricolore, où le chauffage des serres, les assurances, les engrais et les semis ont continué de se renchérir au fil des ans.
Là encore, la tendance est la même chez nos voisins européens. Selon la Flowers and Plants Association, plus de la moitié des fleurs vendues en Grande-Bretagne le sont en grande surface, et 90 % viennent de l’étranger, en grande partie du Kenya, dans des conditions que les consommateurs exigent respectueuses (« fair trade » oblige), mais garantissant toujours des prix compétitifs, comme le raconte le Daily Telegraph.
L’EXCEPTION TRICOLORE DE LA SAINT-VALENTIN
« Dans l’Hexagone, pour la Saint-Valentin, les amoureux restent fidèles au bouquet traditionnel. Ils privilégient les achats de fleurs coupées à la pièce, en majorité des roses, chez les fleuristes. » | REUTERS/JOHN VIZCAINO
Le 14 février reste toutefois sacré pour une majorité de Français. Les amoureux se montrent fidèles au bouquet traditionnel et privilégient les achats chez les fleuristes, rassure FranceAgriMer. « En 2012 comme lors des années précédentes, les fleuristes demeurent le lieu privilégié des achats de fleurs ou de plantes pour la Saint-Valentin, avec 61,1 % des volumes et 69,8 % des dépenses. Viennent ensuite les grandes et moyennes surfaces (21,8 % des volumes et 14,4 % des dépenses) et les jardineries spécialisées (7 % des volumes et 6,5 % des dépenses). »

Car « les fleuristes détiennent un certain nombre d’avantages concurrentiels : leur image de spécialiste, leur capacité à conseiller les clients, leur implantation en centre-ville… Ils restent le premier circuit de distribution du secteur », insiste la FNFF. Atouts majeurs : la fraîcheur du produit, la présentation et le service, notamment les livraisons. Interflora et Florajet ont d’ailleurs lancé un « drive piéton« , permettant de commander ses bouquets sur Internet avant de passer les prendre en magasin.
La vente à distance par ces « sociétés de transmission » s’épanouit d’autant plus que le commerce s’étiole sur l’étal des fleuristes. En 2012, 55 % des commandes de fleurs chez Florajet l’ont été via Internet. Chez Interflora, Internet représente désormais 60 % du chiffre d’affaires.