Lille – la boutique fleuriste de pierre et paule vallez ferme !

Situé aux portes de Lille, au 111 de la rue du Faubourg-de-Roubaix, il est connu depuis toujours des Lillois et des habitants des villes voisines. Le magasin de fleurs de Pierre et Paule Vallez a baissé le rideau le mois dernier. Cette fermeture n’est pas passée inaperçue dans le voisinage. C’est le plus ancien établissement horticole de la métropole. Son histoire est indissociable de celle du quartier.

En 1840, Saint-Maurice-des-Champs porte bien son nom. À part quelques maisons et belles demeures le long de la rue du Faubourg-de-Roubaix, c’est la campagne. « On l’appelait aussi le quartier des châteaux, explique Pierre Vallez. Beaucoup de riches Lillois y avaient fait construire leur domicile parce qu’on y respirait le bon air. »

Dans l’un de ces châteaux, le chef jardinier est un homme entreprenant. D’origine belge, il se nomme Séraphin Van den Heede. Il achète pour une bouchée de pain 8 000 m2 de pâtures, au pied des remparts de Lille. « Ce terrain ne valait pas grand-chose parce qu’il était non edificandi, poursuit Pierre Vallez. Il était interdit d’y construire en dur car il était classé zone militaire. » En cas de conflit, les baraquements de bois devaient pouvoir être détruits d’un coup de canon pour rendre la place nette et permettre aux assiégés de défendre efficacement la ville. Malgré le démantèlement des remparts, en 1919, ce n’est qu’en 1985, avec le projet Euralille, que la ville obtiendra le déclassement des derniers terrains militaires.

De la famille Van den Heede à la famille Vallez

Mais, un siècle plus tôt, Séraphin y prospère : le terrain est riche et humide. L’établissement horticole n’a pas d’équivalent à des kilomètres à la ronde. Son fils, Adolphe, qui lui succède, va contribuer à développer l’entreprise et son image. Il a fait de brillantes études de botanique et c’est une sommité du monde horticole. Quand il n’est pas au magasin de la rue du Faubourg-de-Roubaix, il donne des conférences dans toute l’Europe. Encore aujourd’hui, ses livres innombrables comme L’Art de bouturer ou Le Bégonia sont des références pour les jardiniers français et anglo-saxons.

La maison Van den Heede ouvre un magasin à Lille-Centre, en bordure du marché aux fleurs, 34, place du Théâtre (où se trouve actuellement l’opéra). Dans les années 30, le magasin de Saint-Maurice devient même l’Institut d’apprentissage horticole de Lille. L’enseignement qui y est dispensé est gratuit. Le fils d’Adolphe, Georges, dont l’épouse s’illustrera particulièrement pendant la Seconde Guerre mondiale comme membre du réseau de résistance Voix du Nord, sera le dernier représentant de la dynastie Van den Heede. En 1950, il part à la retraite et cède l’affaire à Charles Vallez. Elle sera reprise successivement par Pierre, son fils, puis Paule, sa petite-fille, la dernière gérante du magasin de fleurs.

« Il y a des années, on venait de très loin pour nous acheter des plantes ou des fleurs et pour visiter les serres, raconte Paule. Il y avait une roseraie et même un bassin avec jet d’eau. C’était un lieu très agréable. » Dans le magasin fermé, on peut admirer une rocaille de Victor Tatoux, celui-là même qui a sculpté celles du parc Clemenceau de Tourcoing et du jardin Vauban de Lille. Avec cette fermeture du magasin de fleurs de Pierre et Paule Vallez, c’est une page de l’histoire de Lille qui se tourne.

Expulsés pour le projet de l’îlot Pépinière

Malgré le renom de la maison et l’attachement de la clientèle, la fermeture était quasiment écrite. En 1950, lorsque Georges Van den Heede, dernier représentant de la famille fondatrice, cède son commerce à Charles Vallez, le grand-père de Paule, il ne vend que le fonds. Le terrain est cédé à la ville, qui n’a pas de projet précis sur son utilisation mais qui prépare l’avenir. Elle consent un bail précaire à la famille Vallez, qui va être reconduit pendant plusieurs décennies. « La ville semblait avoir oublié jusqu’à l’existence même de ce terrain et l’entreprise a pu fonctionner normalement, raconte Pierre Vallez, mais quand on a parlé du projet Euralille, elle s’est réveillée. Elle voulait en faire une zone constructible. Elle nous a signifié son désir de nous voir quitter les lieux, le plus rapidement possible. »

L’îlot Pépinière, d’une superficie de 1,7 ha, est idéalement situé entre le cimetière de l’Est et la rue du Faubourg-de-Roubaix et comprend les 8 000 m2 de terrain et serres de l’établissement horticole de la famille Vallez. Un projet immobilier de 270 logements devrait y prendre place prochainement.

Si Pierre est à la retraite depuis bien longtemps, en revanche, pour Paule qui a 50 ans, c’est la catastrophe. « C’est le mauvais âge, regrette-t-elle, je suis trop vieille pour trouver un nouveau travail et trop jeune pour cesser mon activité. Il me sera très difficile de pouvoir prétendre à une pension décente. » Pierre Poursuit : « Le mois dernier, à la suite de l’avis d’expulsion, nous avons été contraints de licencier les trois derniers employés. »

L’annonce de la fermeture du magasin a suscité beaucoup d’émoi dans le quartier, à commencer par les enfants des écoles. Ils ont spontanément réalisé des dessins sur l’événement, que Paule a affiché sur la devanture. Elle y a ajouté une pancarte de sa main : « Fermeture définitive pour cause d’expropriation. Merci à nos clients de leur fidélité. C’est avec regrets que nous vous quittons. »