Le téléspectateur a presque de la peine pour lui. Michel Conte, le patron de l’enseigne Jardiland a vécu face caméra un véritable chemin de croix ce mercredi dernier, face aux questions d’Elise Lucet dans l’émission « Cash Investigation » sur France 2 (visible ici jusqu’au 9 octobre, la partie sur Jardiland étant entre les 30e et 50e minutes). Rappel du contexte : l’entreprise Jardiland est accusée d’avoir organisé un vaste système d’escroquerie à la formation, détournant des millions d’euros censés financer des milliers d’heures de formation professionnelle en faveur de dizaines de salariés. « Cash Investigation » a mené son enquête et sollicité les explications du PDG, qui a fini par accepter de livrer sa version des faits. Et là, la prestation du chef d’entreprise (pourtant préparée en amont, comme l’explique le reportage) se révèle tout simplement… catastrophique. Stress visible, hésitations, manque évident de conviction dans les propos tenus… Surtout, le dirigeant est pris en défaut chaque fois qu’Elise Lucet lui apporte des pièces à conviction. Au final, Michel Conte fait passer le message suivant : je ne suis au courant de rien, je découvre tout en même temps que les téléspectateurs, même si les documents attestent que mes collaborateurs, responsables RH ou comptabilité ont, a minima, rendu possible l’escroquerie présumée.
Nous ne débattrons pas ici de la culpabilité ou pas de la direction de Jardiland. La justice est saisie de l’affaire et fera le tri des responsabilités. En revanche, l’incroyable malaise de Michel Conte s’explique et aurait pu être, sinon évité, au moins amorti. La communication du dirigeant et la préparation de son passage devant les caméras sont défaillantes pour 5 raisons :
– Il donne l’impression d’avoir sous-estimé le type de reportage dans lequel il allait apparaître. « Cash Investigation », comme son nom l’indique, est une émission… d’investigation. Il ne s’agit pas d’un reportage d’actualité, d’un micro tendu au gré des événements, de la venue de journalistes stagiaires ou débutants. Le journalisme d’investigation est un genre à part. Les reporters passent des semaines, parfois des mois à enquêter, à recueillir jour après jour un maximum de témoignages, de documents précis, des quantités d’éléments qui sont vérifiés, recoupés. Pour parler familièrement, les infos récoltées sont en béton.
– Il est desservi par les ressorts techniques de l’émission, ressorts qu’il fallait bien étudier avant. L’émission existe depuis avril 2012 : comment peut-on apparaître aussi démuni devant la caméra, et sembler tomber des nues devant l’avalanche de témoignages et de pièces à conviction ? Dans la préparation de l’interview, il était indispensable de commencer par analyser, décortiquer l’émission, voir comment les journalistes travaillent et comment les informations sont mises en scène ensuite. Car outre les faits recueillis, il faut être vigilant sur les techniques de montage, qui mettront en valeur tel ou tel moment de l’entretien. Il faut s’attendre à des effets de mises en situation (reconstitution de moments qui n’ont pas pu être filmés ou… apparition de Darth Vader !). Les footballeurs ou rugbymen préparent leur match en visionnant et disséquant les prestations passées de leurs adversaires. Il faut faire la même chose avant d’entrer dans l’arène médiatique, en situation de crise.
– Il a sous-estimé les enjeux et l’ampleur de cette apparition médiatique. Les réactions à la prestation de M. Conte ont été très virulentes. Il faut s’attendre au buzz qu’une telle émission peut générer sur Facebook ou Twitter, d’autant qu’Elise Lucet invite en début d’émission les téléspectateurs à réagir sur les réseaux sociaux. L’exposition médiatique est maximale, donc les risques en terme d’image sont énormes.
– Il a préparé une ligne de défense unique, et très classique, dans laquelle il s’engouffre dès le début : le scandale est le fait d’une seule personne, qui ne travaille plus ici, et personne d’autre n’était au courant. Deux observations à ce sujet . Comme l’affaire Kerviel l’a montré, ce type de posture est difficilement tenable quand on dirige une entreprise, et a toujours montré ses limites. Par ailleurs, face à des médias qui ont longuement enquêté comme face à des policiers ou des juges, on ne soutient une version contre vents et marées que si l’on est certain de sa véracité. Dans le cas de Michel Conte, la posture du « je n’étais pas au courant » est délicate à tenir au regard de tous les documents et éléments qui existent et que France 2 a pris soin d’aller dénicher. Enquêter sérieusement en interne au sein de tous les services concernés (RH, formation, comptablilité…) était une précaution préalable indispensable.
– En résumé, M. Conte donne l’impression qu’il n’a pas retenu les leçons d’autres scandales durant lesquelles des responsables ont sous-estimé le pouvoir d’investigation des médias et ont été pris en flagrant délit de mensonges, voire d’entêtement dans le mensonge. L’affaire Cahuzac, pour ne citer qu’elle, était pourtant un cas d’école…
Aux dernières nouvelles, Jardiland a décidé de poursuivre en justice France 2 pour diffamation. La tactique de « la meilleure défense c’est l’attaque » ne vaut que si on est certain de son bon droit. Il appartiendra à Jardiland de prouver aux juges que les journalistes ont menti, que leur enquête est fantaisiste et que personne dans l’entreprise n’était au courant d’un vaste système d’escroquerie élaboré par un ou deux individus. Jérôme Cahuzac avait promis de traîner Médiapart devant les tribunaux. Avec l’épilogue que l’on sait.
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Jean-Michel Boissière l-entreprise-et-les-medias
Comprendre le fonctionnement des médias représente un atout stratégique. Une entreprise ne communique pas malgré mais avec les journalistes. A travers de multiples conseils et illustrations puisés dans l’actualité, ce blog sur les relations entreprises-médias pourra vous éclairer sur la manière de rendre votre communication plus efficace et dynamique.